Raqqa Beriej tribe 2019

Photo : Raqqa Beriej tribe 2019 @ Felix Legrand

Gouvernance kurde dans le Nord-Est de la Syrie - Séminaire avec Felix LEGRAND 

Mardi 16 janvier 2024, à 13h30, à la MMSH (Aix-en-Provence), en salle A219, le séminaire de recherche de l'équipe Sciences sociales du contemporain accueillait Felix Legrand pour une intervention intitulée « Oppositions et contre-pouvoirs à la gouvernance kurde dans le Nord-Est de la Syrie ».

À la faveur de la guerre contre l'Etat islamique et d'une alliance stratégique avec les Etats-Unis, les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) s'emparent d'un quart du territoire Syrien au nord-est du pays. Encadrées par le mouvement kurde du PKK, les FDS contrôlent depuis plusieurs années un territoire majoritairement peuplé d'Arabes où se concentre une part essentielle des ressources naturelles du pays. Le Nord-Est de la Syrie constitue une expérience unique de mise en pratique à grande échelle des principes de gouvernance inspirés par le tournant idéologique pris par le PKK au début des années 2000. Sous l'impulsion de son chef Abdullah Öcalan (Apo), emprisonné en Turquie, le parti fait une mutation idéologique, tournant le dos à la fois au nationalisme et au marxisme léninisme, remplacés par les concepts de "confédéralisme démocratique" et de "fraternité des peuples" d'inspiration libertaire.

Cette mutation idéologique va façonner le modèle de gouvernance instauré dans les territoires sous contrôle FDS, avec la création d'un système administratif complexe. Plus qu'une innovation démocratique, les mutations idéologiques "apoïstes" s'avèrent être un atout efficace de contre-insurrection et de contrôle des populations. Le confédéralisme démocratique permet l'instauration d'un maillage administratif complexe qui se fait au service d'un parti, et le dépassement du nationalisme kurde permet de justifier l'extension en territoire Arabe. Par ailleurs, le maintien d'un encadrement strict des structures de gouvernance par des cadres du PKK et la pression constante de la part de la Turquie, du régime Syrien et de l'Etat islamique et dans une certaine mesure des populations locales maintiennent l'administration autonome dans une forme d'autoritarisme centralisé.

Pour comprendre la nature de l'expérience politique inédite au nord est de la Syrie, et analyser ses capacités de résilience, il est impératif de ne pas se concentrer uniquement sur l'étude de son système administratif et sécuritaire, mais également de se pencher sur les formes d'opposition et de mobilisation auquel il doit faire face. Cette opposition, qu'elle soit légaliste ou révolutionnaire, pacifiste ou violente, autonome ou soutenue par les autres acteurs du conflit syrien, peinent à se structurer et à constituer un contre-pouvoir efficace.

Depuis plusieurs mois, une insurrection tribale à Deir Ezzor met les forces kurdes face à une des plus graves crises depuis la fin de la guerre contre l'EI. Cette insurrection, met en lumière les contradictions du système FDS et son incapacité, non pas à coopter des populations arabes, mais surtout à engager un dialogue constructif avec un opposition politique.  De leurs côtés, les différentes oppositions arabes aux pouvoir kurde restent piégées par des dynamiques de fragmentations tribales et peinent à mobiliser une partie importante de la population, qui craint de voir le régime syrien profiter de toute forme de déstabilisation.

Felix Legrand est un chercheur indépendant et consultant auprès d'ONG. Il travaille sur le conflit Syrien depuis 2011. Depuis 2017, il passe plusieurs mois par an dans le Nord-Est de la Syrie. Ses dernières publications sont : Le tribalisme politique à Deir Ezzor : aux sources du retour de l’État islamique, mai 2023, CAREP et avec Patrick Haenni, "La greffe du projet apoïste en Syrie", dans Gilles Dorronsoro, Le gouvernement des Kurdes, gouvernement partisan et ordres sociaux alternatifs, Editions Karthala 2023.

Lien vers l'évènement Facebook / Consulter le programme complet du séminaire - 2023-2024

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2024